Imaginer le monde numérique que l'on veut : libérateur et au service de chacun

Imaginer le monde numérique que l'on veut : libérateur et au service de chacun

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Commençons ce billet par une évidence, énoncée par Marc Andreessen, co-fondateur de Netscape, une des premières start-up de l'Internet :

"Software is eating the world" / "Le logiciel dévore le monde — Marc Andreessen

La technologie s'immisce dans tous les aspects de notre vie. Mais la technologie n'est rien sans le logiciel qui la commande. C'est d'ailleurs ce qui m'amène à une autre citation :

"Code is law" / "Le code, c'est la loi" — Lawrence Lessig

Celui qui écrit le code décide de ce que je peux faire avec le logiciel

Lessig explique qu'aux XIX e et XX e siècles, c'étaient les législateurs qui décidaient qui avait le droit de faire quoi. Mais au XXI e siècle, ce sont les développeurs de logiciels (et leurs éventuels patrons) qui décident de ce que fait un logiciel. L'utilisateur n'a d'autre choix que d'utiliser ce logiciel... ou de ne pas l'utiliser du tout, ce qui signifie de plus en plus — car "le logiciel dévore le monde" — ne plus utiliser l'outil qui contient le dit logiciel. À moins, bien sûr, que le logiciel en question soit libre, avec du code source ouvert, que l'on peut modifier. Bien sûr, sous cet angle là, on comprend mieux l'importance d'apprendre à nos enfants à programmer : l'idée n'est pas forcément qu'ils finissent tous développeurs de logiciels, mais qu'ils comprennent comment fonctionne le monde. Au XX e S., on apprenait l'éducation civique, l'histoire et la géographie ; au XXI e, il faudra apprendre à coder et comprendre le numérique...

Du logiciel libre pour une société libre

En fait, le paragraphe ci-dessus explique pourquoi je suis autant un fan du logiciel libre et du code source ouvert. Ça n'est pas tant que je trouve le code beau (il l'est parfois !), mais que je tiens à ma liberté et à celle de mes concitoyens : ''le logiciel libre est une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour avoir une société libre''. En effet, dans une démocratie, les citoyens ont les moyens pour faire évoluer les lois : les systèmes législatifs et judiciaires. Dans le numérique, ce sont actuellement les grandes plateformes (Google, Facebook et consorts) qui décident pour chacun de nous, et l'individu n'a quasiment aucun pouvoir pour faire changer les choses.

Le balancier de l'histoire entre centralisation et décentralisation

Il faut toutefois réaliser que la centralisation des données personnelles dans les mains de quelques géants du numérique n'est pas une fatalité : l'histoire de l'informatique nous montre qu'il y a toujours eu des allers-retours entre centralisation et décentralisation, oscillant comme un pendule entre les deux approches. On a ainsi connu l'ère des "grands systèmes" (type ''mainframes'' IBM ou DEC) avant l'apparition de "mini-systèmes" ou de l'"informatique départementale" (à l'échelle d'un département d'entreprise) puis de la micro-informatique, sur la fin des années 1970, avec l'Apple II puis l'IBM PC et enfin Macintosh. Les débuts du Web ont reposé sur la micro-informatique avec une approche très décentralisée avant que ne se développent les grandes plateformes actuelles. Aujourd'hui, l'approche centralisée montre ses limites : censure des applications et des messages, interférence avec les élections présidentielles américaines, publicités racistes, capitalisme de surveillance sont autant de preuves des dangers de cette centralisation.

Choisir entre centralisation et décentralisation n'est pas anodin. En effet, c'est décider en quelque sorte qui contrôle le système. Le système est centralisé ? Le contrôle l'est donc aussi. Il est décentralisé ? le contrôle aussi. C'est ce que résume très bien cette citation d'un des pionniers du logiciel :

"Architecture is politics" — Mitch Kapor

Pour le redire de façon différente : décider comment on organise un système d'information, c'est décider qui a le pouvoir. Alors que le logiciel continue à dévorer le monde, on a déjà confié ses clés à Facebook (2 milliards d'utilisateurs par jour), à Google et leurs équivalents chinois Tencent et Baidu.

À qui veut-on confier les clés du numérique de demain ?

Quand le monde aura été presqu'entièrement dévoré par le logiciel, à qui voudra-t-on confier le pouvoir sur nos actions du quotidien ? À qui veut-on confier nos données et le pouvoir de nous influencer ? À qui veut-on confier l'intelligence artificielle qui prendra des décisions pour nous ? À une gigantesque technostructure qui traîne déjà de nombreuses casseroles, ou à un système de proximité sur lequel nous avons le contrôle ?

La décentralisation : un mouvement en plein développement

Je le disais plus haut, utiliser du logiciel libre est une condition nécessaire mais pas suffisante pour avoir le contrôle sur notre vie numérique (autrement dit notre vie tout court). Il faut aussi avoir le contrôle sur le matériel qu'on utilise : à quoi sert d'avoir un ordinateur sous GNU/Linux si tous les services qu'on utilise sont sous le contrôle d'un GAFAM qui récupère toutes nos données personnelles ?

C'est pourquoi il y a tout un ensemble de projets de logiciels libres visant à décentraliser Internet$$En 2016, à la conférence FOSDEM de Bruxelles, un groupe de personnes demandait à ce qu'il y ait une salle dédiée à la décentralisation d'Internet, mais ce fut refusé. Pour l'édition 2017, j'obtiens une salle en compagnie de Taziden| et elle est comble du matin au soir, avec une longue file d'attente dans le couloir. Pour l'édition 2018, elle double de taille mais elle est toujours comble...$$.
, touchant toutes les couches et aspects du Net, depuis le réseau physique aux réseaux sociaux en passant par les serveurs personnels. En voici quelques-uns :

Avec cette approche décentralisée, on redonne à l'utilisateur le moyen de reprendre le contrôle sur les logiciels qui régissent sa vie, sur ses données personnelles et donc de ce fait, sur sa vie entière. Le logiciel dévore le monde. Assurons-nous que nous le contrôlons (avec du logiciel libre et décentralisé) avant qu'il ne nous dévore à notre tour.