Le documentaire Derrière nos écrans de fumée (titre original : The Social Dilemna) produit par Netflix fait la part belle aux aspects sordides de notre vie ultra-connectée et forcément ça dérange.
Entre le docu-réalité qui met en scène une famille contemporaine et des incrustations d'experts, ce film décortique le fonctionnement des réseaux sociaux. À l'heure où Whatsapp modifie ses conditions générales d'utilisation, c'est toujours instructif de comprendre pourquoi...Les personnes interviewées, qui pour certaines travaillent encore dans ce domaine, s’expriment sur les conséquences actuelles des technologies (ingérence dans les élections et désinformation en croissance exponentielle) et dressent un portrait sombre du futur qui nous attend si nous ne changeons pas nos habitudes.
Comme c’est souvent le cas dans ce type de documentaires ou docufictions, les producteurs ne lésinent pas sur les moyens pour marteler leur message. Au programme : bande-son anxiogène, scènes poignantes et statistiques percutantes qui semblent imputables aux réseaux sociaux.
Néanmoins, exception faite de ce débat sur la place réelle d’Internet et des réseaux sociaux dans les maux de notre époque, ce film dresse un portrait très juste de la façon dont les technologies ont façonné le monde moderne. Voici ce qu’il faut retenir de Derrière nos écrans de fumée :
Si c'est gratuit, vous êtes le produit
Contrairement à l'adage, qui heureusement commence aujourd’hui à s’éroder, les services gratuits (moteurs de recherches, réseaux sociaux, etc.) ne sont pas alignés sur les intérêts de ses utilisateurs. Derrière nos écrans de fumée, les plateformes de médias sociaux sont des entreprises qui utilisent un modèle économique en trois actes :
Engagement : le but est de capter votre attention dans l’application
Qui ne se souvient pas de cet ex-employé Google Tristan Harris devenu militant actif et lanceur d'alerte sur la manipulation de nos esprits par les géants de la Tech.
Croissance : le but est que vous invitiez vos proches à rejoindre l’application
Publicité : le but est de vous proposer des publicités dans l’application
Pour un utilisateur, ces trois "actes" permettent de mieux comprendre le fonctionnement des différentes plateformes et applications. Leur finalité, c’est de retenir notre attention aussi longtemps que possible, de nous encourager à inviter d’autres personnes et de nous exposer à des publicités au fil de notre utilisation. Sur ce dernier point, il est important de noter que les annonceurs n’ont pas pour ambition de générer des ventes immédiates. En effet, comme l’explique dans le documentaire Jaron Lanier, pionner de la réalité virtuelle, les réseaux sociaux ont la capacité de changer de façon graduelle et imperceptible nos habitudes de consommation.
Les annonceurs se servent de ce pouvoir pour modifier et prédire nos actions futures, ce qui revient à influencer nos comportements.
Pour Shoshana Zuboff, doctorante et autrice de L’âge du capitalisme de surveillance, « les acteurs d’Internet spéculent sur le comportement futur des utilisateurs » comme peuvent le faire certaines entreprises sur le cours du pétrole. On a tendance à diriger toute notre attention sur la gestion des informations personnelles. Pourtant, le bien le plus précieux pour ces plateformes, ce sont nos données comportementales.
Toute notre activité en ligne est "disséquée"
Derrière nos écrans de fumée nous rappelle qu’aucune action réalisée en ligne ne passe inaperçue : les géants d'Internet savent ce que nous consultons et combien de temps nous le consultons. Lors de notre navigation en ligne, des algorithmes étudient notre activité pour savoir comment capter notre attention. Ces résultats leur permettent ensuite de nous faire rester plus longtemps sur les sites et applications que nous utilisons. C’est grâce à cela que les annonceurs peuvent comprendre les habitudes de chacun et les utiliser à leur avantage.
Lorsqu'une poignée de personnes décide pour nous...
On imagine alors qu'Internet est contrôlé par une force divine qui tirent les ficelles... non, ce ne sont pas des Dieux mais bien une poignée d’individus qui exécutent, participent à faire croître le nombre d'utilisateurs, à monétiser leurs données.
Ce documentaire compte parmi ses intervenants Justin Rosenstein, ancien ingénieur pour Google et Facebook et cocréateur du bouton « J’aime ». Cette invention qui semblait initialement anodine, conçue à la base pour augmenter l’engagement, est aujourd’hui un symbole mondial de reconnaissance qui, pour de nombreux utilisateurs, influe directement sur leur estime de soi. Justin Rosenstein admet qu’à l’époque ils n’avaient aucune idée des conséquences qui pourraient en découler... Ça me rappelle un autre Tristan... Nitot, ex-Mozilla, Cozy Cloud et Qwant qui évoquait la dopamine générée par ce fameux bouton dans une de ses célèbres conférences.
Internet creuse le fossé sur les questions clivantes
Sur Internet, le discours actuel témoigne d’une société toujours plus divisée, en particulier sur les sujets clivants. Sur ce point, les mécanismes (ou algorithmes) qui régissent les plateformes de réseaux sociaux sont pointés du doigt. Comme nous l’avons vu plus haut, ces plateformes cherchent à capter votre attention aussi longtemps que possible. Pour cela, elles utilisent des algorithmes qui analysent votre comportement face à différents types de contenus. Grâce aux données récoltées, le service peut ensuite vous proposer de nouvelles informations et publications qui sont à même de vous intéresser.
Pour illustrer ce point, le documentaire Derrière nos écrans de fumée prend l’exemple des vidéos de théories du complot et du rôle joué par les médias sociaux dans l’essor de leurs thèses folles, les dernières théories du complot autour de la non-réélection de Trump ou le phénomène Qanon aux États-Unis. Lorsqu’une vidéo se termine, les plateformes comme YouTube suggèrent automatiquement un nouveau contenu : les utilisateurs sont alors "hypnotisés" par un flux continu d’informations qui vont dans le même sens. Ce cycle ininterrompu de suggestions est bien souvent géré par un algorithme qui ne cherchera pas à savoir si le contenu proposé est vrai. Toutefois, certaines plateformes, comme Twitter, ont déployé des logiciels de fact-checking pour combattre ce phénomène. Lorsqu’une publication est considérée comme « douteuse » par un tel outil, un message d’avertissement s’affiche. Hélas, cela n’est parfois pas suffisant pour enrayer le problème. Les informations mensongères peuplent tous les recoins du Web, si bien que chaque affirmation, aussi farfelue soit-elle, est forcément corroborée quelque part sur Internet. Résultat ? À force de consulter uniquement des informations qui vont dans leurs sens, les utilisateurs des deux camps s’éloignent de plus en plus et le fossé se creuse.
Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que la barre de recherche des navigateurs tienne en compte de votre historique d’utilisation. Prenons comme exemple la fonction de suggestion automatique de Google : si un utilisateur tape « terre plate » dans sa barre de recherche, les suggestions affichées seront influencées par ses comportements d’utilisation, son emplacement géographique et les données que Google a recueillies à son sujet.
Face à cette réalité, certains experts interviewés dans Derrière nos écrans de fumée sont très pessimistes quant aux conséquences futures, citant la possibilité d’une guerre civile - la récente intrusion au Capitole à Washington le prouve.
Mais alors que faire ?
Tout n'est pas à jeter avec l'eau du bain. Des alternatives émergent - l'afflux d'utilisateurs de Whatsapp qui vient de changer ses conditions générales d'utilisation (au profit de sa maison mère Facebook) vers la messagerie Signal témoigne de cette prise de conscience collective. Ce documentaire propose des conseils pour limiter notre addiction aux réseaux sociaux, tordre le cou à la désinformation et compliquer la tâche des algorithmes qui servent à prédire nos comportements.
Pour être moins accro aux réseaux sociaux, le meilleur réflexe consiste à désactiver ses notifications, comme le conseille la quasi-totalité des experts interviewés dans ce documentaire.
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Utiliser un moteur de recherche qui n’enregistre pas votre activité, comme Qwant, Duck Duck Go, StartPage...
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Supprimer les extensions Chrome (qui suivent votre comportement) et préférer le navigateur Firefox au navigateur de Google.
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Ne pas cliquer sur les vidéos recommandées et les pièges à clics. #Résiste
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Recouper les informations d’un article avant de le partager et vérifier la fiabilité de sa source.
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Limiter le temps passé sur les écrans chaque jour (pour les grands comme pour les enfants).
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Poser votre téléphone à l'entrée de la maison en mode silencieux (quand vous avez terminé votre journée de travail), le débrancher pendant la nuit... Il y a encore une quinzaine d'années, nous vivions sans réseaux sociaux, sans solicitations... C'est donc possible !
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Choisir des outils respectueux de votre vie privée (Cozy Cloud en fait partie mais nous ne sommes pas seuls et apprenez à mieux contrôler vos données.
Bien sûr, l'idéal serait de supprimer tous ses réseaux sociaux et autres applications voleuses de notre temps mais allons-y comme Kaizen et sa méthode des petits pas. Une habitude s'installe au bout de 21 jours et on a dû mal à se défaire la commodité offerte par ces "outils" surtout dans une période aussi propice au télé-travail et à la chute de ladite et tant regretée "relation sociale".
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Commencez à regarder ce documentaire (sur Netflix, un comble !) et écouter et/ou lire d'autres contenus tout aussi riches d'informations et de pédagogie car le maître mot ne l'oublions pas à l'éducation au numérique et à ses dérives.
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